Philippe Goguelat va élargir ses activités. Le titre d’avocat en
parlement permet d’avoir regard sur toute activité juridique rémunératrice.
Le royaume est régi par une multitude de droits et
règlements le plus souvent coutumiers, c’est à dire spécifique selon les
régions sous contrôle d’un intendant dirigeant la ‘généralité’.
Avant 1789 la France était découpée en
‘généralité’ pour la perception des impôts royaux par des ‘Généraux des
finances’. Il existait 32 ‘généralités’. Celle de Moulins comprenait 7
élections : Moulins, Château Chinon, Gannat, Guéret, Montluçon et Nevers.
La collecte des différents impôts est le plus
souvent laissée à des administrations particulières. C’est le cas de gabelle,
impôt sur le sel car monopole d’état. Celui-ci était engrangé dans des dépôts,
‘les greniers à sel’, revendu par ses administrateurs et par les ‘regratiers’
au détail.
A cette époque plus de 400 cent greniers de taille
différente selon les pays alimentent le royaume. Plusieurs personnes
officiaient pour contrôler les ventes et
surtout diriger la chasse aux fraudeurs et contrebandiers. Le personnel employé
à cette chasse était particulièrement détesté de la population n’hésitant pas à
pénétrer chez le particulier.
Le grenier à sel de Château Chinon existe depuis
Louis XI, cependant il n’est pas pourvu d’un président, cette présidence est
une charge achetable et rémunératrice. Pour cela certaines conditions sont à
remplir : connaître la législation, avoir plus de 25 ans, être de bonne
vie et mœurs, bon catholique et bien entendu avoir l’argent pour acheter la
charge.
Philippe peut prétendre à occuper cet office en
prouvant qu’il réunit toutes conditions. C’est ainsi qu’en 1751, il devient
Président du grenier à sel de Château Chinon ce qui lui confère par la même le
titre de conseiller du Roi.
L’Installation de Philippe Goguelat comme
président du grenier à sel se fait avec toute la minutie et le cérémonial
nécessaire.
Chaque événement, tout incident y est consigné.
(ADN1C461/468).
« Ce
jourdhuy quinzième jour du mois d’avril mil sept cent cinquante et un,
pardevant nous François Gudin et Léonard Louis Gory conseillers du Roy,
grenetier et controlleur au grenier à sel de Château Chinon à l’issu de
l’ouverture du dit grenier a comparu en personne Mre Philippe Goguelat avocat
en parlement lequel nous a dit quil a plu à sa majesté de luy accorder des
provisions de l’office de son conseiller et président en le grenier à sel de
Château Chinon le dix sept mars dernier signées par le Roy vernie et sellés en
cire jaune. Le dit Mre Goguelat en conséquence des dittes provisions a été reçu
par devant nos seignieurs de la cour des aydes à Paris le vingt six du maisme
mois de mars dernier aincy qu’il est justifié par acte reçu Desormes greffier
et quil a communiqué au procureur du Roy de ce grenier les dittes provisions et
actes de réception. En conséquence il recquiere quil soit installé au dit
office sur quoy et ouy le dit procureur du Roy qui a dit avoir eu communication
des dittes provisions et acte de réception et na moyen d’empêcher pour le Roy
que le dit Mre Goguelat ne soit installé au dit office.
Nous
avons installé le dit Mre Philippe Goguelat au dit office de conseiller du Roy
président en le dit grenier pour jouir d’ycels conformément aux dittes
provisions et acte de réception et a ordonné que les dittes provisions et acte
de réception seront enregistrées en notre greffe pour y avoir recours quand
besoin sera. Dont acte et à le dit Mre Goguelat signé avec nous le dit
procureur du Roy et le greffier de ce grenier au bureau ordinaire. La
juridiction du dit grenier Gudin…Gory…Goguelat…Butteau.
Nous connaissons déjà ces personnages ils sont
présents au contrat de mariage en 1740 de Philippe Goguelat. Gudin et Gory son oncle et cousin officiaient déjà
au ‘grenier’. Onze années plus tard les voici réunis, le sel devient presque
une affaire de famille à Château Chinon !!
L’enregistrement des ‘dittes provisions’ explicite
les modes de fonctionnement de cette administration royale, à la fois exigeante
et respectueuses d’un système qui garde des procédures sortant du moyen âge.
Nous sommes tout de même en plein règne de Louis XV.
« Louis par la grâce de Dieu Roy de France et
de Navarre à tous ceux qui les présentes
lettres veront salut.
Seavoir faisons que sur la pleine et entière
confiance que nous avons de la personne notre cher et bien aimé le Sieur
Philippe Goguelat de ses sens d’efficience capacité expérience fidélité et
affection à note service pour ces causes nos luy avons donné octroyé, donnons
et octroyons par ses présentes l’office de notre conseiller président au
grenier à sel de Château Chinon, généralité de Moulins.
Crée par édit du mois d’octobre 1694 réservé par
les déclarations du 31 octobre 1717 et 24 aoust 1720 auquel na été pourvue
depuis sa création. La finance duquel aincy que le rachapt du pres et annuel et
augmentation de finance ordonné par édit du mois de fevrier 1745 nous ont été
payées par le dit sieur Goguelat suivant les quittances cy attachées pour le
dit office avois remis et dois….exercer en jouir et huser à tittre de
survivance et aux honeurs authorités prévoyatrices privilièges pouvoir
fonctions exemptions gages…droits fruits profits revenus et émoluments audit
office appartenants tel et tout aincy qu’en jousissent les pourvuans de
pareilles offices et quil est plus au long porté par le dit édit de création à
condition toutes fois que le dit sieur Goguelat ayet attins lage de vingt cinq ans acomptés recquis par nos
ordonnances suivant sont extrait baptistaire du dix novembre mil sept cent
treize dûment légalisé.
Et qui nest dans le nombre des dits officiers du
dit grenier à sel aucuns parents ny alliés au degré prohibés par nos réglements
aincy qu’il appert par le certificat quil en rapporte cy avec le dit
baptistaire attaché a peine de perte du dit office nullité des présentes et de
sa réception………………..
Ce jour Mr Philippe Goguelat dénommé en ses
présentes a été reçu en l’office de conseiller du Roy président du grenier à
sel de Château Chinon a fait serment pour le … ? … et accoutumé profession
de foy catholique appostolique et romaine. Promis juré garder fidélité au Roy,
fait à Paris en la première chambre de la cour des aydes le 26 mars 1751. Collationé
signé Desormes et paraphe. Et au dos des provisions est écrit enregistré au
contrôle le 17 mars 1751 signé Perrin avec paraphe. (La cour
des aydes est une juridiction souveraine décidant en dernier ressort des procès en matière de subsides, impôts,
tailles, aides et gabelles. Elle jugeait également des titres de noblesses et
vérifiait les lettres d’anoblissement).
C’est par l’ordonnance de 1343 que Philippe de
Valois créa ce monopole au profit de la couronne. La gabelle provoqua de
multiples rébellions, notamment à La Rochelle en 1542, la Saintonge ainsi que la guyanneen 1543 où le
gouverneur fut tué, découpé et …salé !!! Plus tard en Bretagne. Toutes
régions de bord de mer peu disposées à accepter de payer ce qui peut être
aisément obtenu. L’impôt est d’autant plus mal supporté qu’il est
injuste. !
En effet la France est découpée en pays de grande
gabelle, de petite gabelle et pays de franc salé qui, lui est exempté de cet
impôt.
La plus grande partie du Royaume est soumise à la
grande gabelle. Il s’agit des ‘généralités’ d’Amiens, Bourges, Chalons, Dijon,
Moulins, Orléans, Paris, Rouen, Soissons,la Lorraine, l’Alsace et le
territoire nommé ‘les trois évêchés’. C’est là que le prix est le plus élevé,
il y a même un minimum d’achat à respecter
Le franc salé réunit le Poitou,la Saintonge l'Aunis et le pays d'Artois, ainsi que les Flandres (Sources Dict historiques de la France.Jean Pasquier Paris
1905)
La
contrebande a été de tout temps importante, mais aussi très fortement
réprimé ; si la peine capitale a disparue après 1484 on encourait tout de
même les galères ou le bannissement.
Voici
pour 1772 l’établissement du prix à payer tel qu’il est dressé pour le grenier
de Château Chinon par Philippe Goguelat :
(source ADN
1C461/468) – Scavoir – dans les regrats* et faux bourgs de
cette ville
Au poids A la mesure
La livre treize 13 le
litron 19 sols six deniers
½ livre six sols six deniers ½ litron 9 sols 9 deniers
L’once un sol ¼
de litron 5 sols
½
quart de litron 2 sols six deniers
La
mesurette 1 sol trois deniers
*Le regrat ou
commerce de détails était réglementé. Pour avoir une ‘commissions de
regrattier’ pour la vente de sel par petites mesures, il fallait que cette
commission soit enregistré au greffe du grenier et le requérant preter serment.
Administration tatillonne avons nous dit, en voici
un exemple assez frappant et si l’on ose dire ne manque pas de sel.
Il s’agit d’un procès contre un supposé fraudeur avec procureur,
avocat de la défense, experts. Fait remarquable, l’échantillon accusateur est
laissé en possession de l’accusé, paradoxe du temps.
(Source ADN 1C461/468) – Du 28 juin 1751 contre Guy Pillin. Acte de ce
que Mres Tépenier s’est consitué procureur pour Guy Pillin et de ce quil a dit
sans préjudice aux nullités renfermées dans le procès verbal dont il sagit il
soutient que le sel qui a été pris chez lui est du sel de la motte actuellement
en vente. Que dans le cas ou il ce trouveroit quelque disparité elle ne pouvoit
venir que de ce que les employés ont lavés le sel qui est dans son échantillon…
et quau surplus il s’en rapporte a l’échantillon qui luy a été laissé qui
représente actuellement. Le cachait étant sain et entié….persiste aux fins et
conclusions du procès du procès verbal dont il s’agit et soutient que les faits
cy dessus allégués par le dit Mre Tépenier pour sa partie ne sont d’aucune
considérations. Étant outtré et au delà du dit proces verbal et a reconnu que
le sachet apposé sur l’échantillon laissé au dit Pillin et représenté par le
dit Mre Tépenier est entier. Nous avons donné acte, ordonné que l’échantillon
déposé au greffe sera représenté par notre greffier. Ce qui a été présentement
fait et le cachet vu apposé sur le dit échantillon reconnu sain et entier.
Ordonné que les parties condésignés présentement des amineurs pour experts pour
faire la vérification et confrontation du sel saisis sur le dit Pillin avec
celui de la motte actuellement en vente du grenier sallonnier et acte que
Mr… ?... a nimmé pour expert pour sa partie Pierre Bolliret et de ce que
Mr Tépenier a nommé pour sa partie Claude Denouan autre animeur… et on fait le
serment chacun a leur égard au cas requis par lequel ils ont promis et juré de
bien et fidellement en leur ame et conscience faire la vérification et
confrontation….et de faire un rapport fidel a quel effet les sels des dits
échantillons ont été remis aux dits animeurs………on dits que les sel contenu dans
l’échantillon laissé au dit Pillin est semblable a celyu de la motte
actuellement en vente auquel ils lont confronté nous en avons donné acte. En
conséquence nous avons renvoyé le dit Pillin de la demande contre luy formé dépans,
compenses et ordonné que le sel saisis sur le dit Pillin luy sera rendu ce qui
a été présentement fait. Et a le dit Tépenier signé avec nous. Goguelat, Gudin,
Gory, Tépenier, Buteau (greffier).
Une question se pose immédiatement : comment
pouvait-on à cette époque différencier 2 échantillons de sel ? Par la
couleur ? on se presse de signaler qu’il a été lavé ! par la grosseur
du grain ? Mystère !
D’autre compte rendu de ces procédures font
ressortir des situations cocasses : un individu est surpris vendant du sel
et il donne un faux nom ! imbroglio juridique car le propriétaire de ce
nom proteste furieusement mais le procureur veut un coupable !!
Le terme de ‘gabelleurs’ ou ‘gabelous’ devint par la suite un nom générique
désignant le personnel de toutes les douanes. Abolie en 1789, la gabelle fut en
partie rétablie en 1806 par un dénommé Bonaparte en tant que droit intérieur à
la consommation, perçue cette fois à la sortie des lieux de production. Une
sorte de TVA !
L’état Français gardera longtemps un œil sur le
sel et ce n’est qu’en 1945 que son commerce devient finalement tout à fait
libre.
Château Chinon, alors ville prospère enserrée entre
les épaisses murailles de ses fortifications aujourd’hui disparues, semble
s’être endormie récemment. La mémoire même du ‘grenier’ paraît avoir disparue.
Pourtant si après avoir pénétré dans la ville par la porte Notre Dame on
remontait par la rue du même nom, puis celle de la paix, on se trouvait place
St Romain. Là en face, accolé contre la
muraille à quelques pas de la porte St Christophe d’un côté et du prieuré de
l’autre, le ‘grenier’ dominait la cité. On pouvait redescendre vers la ville
basse par la rue St Louis débouchant sur les halles, les prisons et les
commerces situés rue des marchands et rue du marché.
Commentaires